Les Vampires dans l'Histoire
par Van Kiwing
Le vampire a toujours existé, partout. Certes, à ses origines, il n'a pas la classe d'un Comte Dracula : entité désincarnée, il est la peur de l'invisible, du danger, de l'inconnu, de la maladie, de la mort, de l'informe. Lui-même est informe — ou plus exactement, polymorphe. On le confond facilement avec la goule, le fantôme ou le loup-garou. Peu importe, il est là. Dans toutes les cultures, de la plus primitive à la plus industrialisée, il est présent : il est le Voleur de Vie.
Partie I - Partie II
Publication : 3 février 2000
Modifications : 12 avril 2010, 12 novembre 2012, janvier 2014
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Premières traces
Il est difficile de trouver un vampire moderne dans les bestaires mythiques de la Protohistoire et de l'Antiquité. On y trouve pourtant des buveurs de sang et de vie ; des démons-maladies, des dieux et esprits plus ou moins malfaisants qui partagent le quotidien des hommes et qui menacent son existence, ou tout du moins son intégrité. Cependant, le « vampire mythologique » n'a pas de forme précise, il est confondu avec d'autres créatures. Il fait partie de cette horde de forces inconnues auxquelles l'homme est confronté. Pour le trouver, il faut rechercher aussi bien les histoires de morts-vivants, que les sacrifices sanglants à des créatures surnaturelles, et les récits de ceux qui augmentaient leur puissance en mangeant leurs semblables. Pourtant, ce qui fait le vampire est déjà là. On le craint. On élabore des rites funéraires destinés à combler le mort pour l'empêcher de revenir. On fait des offrandes aux dieux sanguinaires. On tente d'expliquer des décès qu'on ne comprend pas (BA1).
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Le haut Moyen-Âge
Au fur et à mesure que la chrétienté se répand, la vision est plus simple : tous les dieux d'autres cultes deviennent des démons. À ce sujet, l'église chrétienne du Moyen-Age - entre le Vème et le Xème siècle particulièrement - a eu recours, lors de la conversion d'autres cultes, à l'assimilation des principes des divinités « étrangères », ainsi que des légendes populaires. Devenus des anges ou des saints, les dieux originels virent leurs noms relégués à un bestiaire démoniaque et leur symbolique « recyclée » - un intéressant cas de vampirisme mythologique...
A l'époque, nul ne se pose la question de savoir si les vampires, revenants et autres licornes ou dragons peuvent réellement exister ou non : toutes les créatures étant les oeuvres soit de Dieu soit du Diable, l'un ou l'autre a forcément pu les créer. (V&L1)
A partir du Ve siècle, les Capitulaires * condamnent à mort le paganisme, et marquent le début de la persécution de ceux qui refusent toujours le dieu unique. La population est terrorisée par les visions infernales de Jugement Dernier, afin de les inciter à « sauver leurs âmes de l'abîme ». Même si les prophéties de fin du monde finiront par elles-mêmes se retrouver interdites et accusées d'hérésie, la nécessité du salut de l'âme s'installe, sous peine de devenir une entité errante privée de l'Au-Delà.
En 785, un Capitulaire de Charlemagne, le Capitulatio de partibus Soxianiae, dénonce des cultes dits diaboliques chez le peuple Saxon qu'il cherche à soumettre, et interdit définitivement les festins de chair humaine et les rites magiques. (RDV1) (LGV1) Les Buveurs de Sang sont pourchassés sans distinction, disparaissent presque. Le mot d'ordre de l'Eglise est « imitation » et non « imagination ». Les « concurrents » au dieu unique ont été ainsi effacés, car si on ne croit plus à quelque chose, celle-ci est vouée à l'oubli. (S1)
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Le XIIe siècle : réveil des esprits
Certains esprits sont persistants. À la fin du XIe siècle, on les adore toujours, secrètement, au foyer. Par crainte de l'Église, ils n'apparaissent plus que la nuit et sous formes réduites. Les paysans épuisés, isolés et sous-alimentés sont sujets à la maladie et aux visions.(S1)
Et c'est en Angleterre que les affaires des revenants reprennent : en 1031, l'évèque de Cahors évoque dans le Concile * de Limoge le premier cas s'apparentant au vampirisme. Il s'agit du corps d'un soldat qui avait refusé les Saints Sacrements, et qui était retrouvé hors de terre à chaque tentative d'enterrement dans un cimetière consacré. Le corps ne trouva apparemment la paix que lorsque des amis l'ensevelirent en terre profane. (RDV2) (LGV2)
Bien qu'on le confonde encore avec la goule et le loup-garou (accusé de toute façon de devenir vampire après sa mort), les vampires envahissent alors l'Angleterre, où ils « étaient devenus si nombreux qu'on dût les brûler par grappes entières ». Des cas de vampirisme sont répertoriés dans De nugis curialium par Walter Map, de 1193, et Historia Regis Anglicarum par William de Newburgh, 1196. (RDV3) (C&S1)
Ironiquement, l'Inquisition Médiévale, créée en 1199 afin de lutter contre l'hérésie, s'étend dans toute l'Europe de l'Ouest à l'exception de l'Angleterre (W1).
Durant les XIIe et XIIIe siècle, les procès pour sorcellerie, lycanthropie ou vampirisme se multiplient. Leurs apparitions sont fréquentes, au gré des circonstances (voir Symbolisme) ; en périodes de crise, il faut un bouc-émissaire. Il faut d'ailleurs noter que la population à l'époque était favorable à l'Inquisition, qui offrait non seulement une protection au peuple chrétien contre les « mauvais éléments » mais aussi toute une méthode de justice progressiste, basée sur une enquête et l'étude des faits (à l'opposé d'une exécution sommaire par une foule en colère, par exemple) (W1).
Généralement, ces vagues de vampirisme correspondent à des épidémies de maladie, de la même façon que les histoires d'ogre cannibale correspondent aux périodes de famine. (RDV3)
À la fin du XIIIe siècle, l'action de l'Inquisition Médiévale se ralentit considérablement et les apparitions de revenants et vampires se font plus rares à l'Ouest de l'Europe.
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XIVe et XVe siècles : faits et dates
En 1337 et 1347, deux vampires furent découverts, empalés puis réduits en cendres. (LGV3)
En 1343, Le baron prussien Steino de Retten (Lauenbrug) est soupçonné d'être un vampire. (RDV3)
De 1346 à 1353, une épidémie de peste noire s'abattit sur l'Europe. On croyait que la maladie flottait dans l'air comme la brume et s'abattait sur ses victimes, et qu'elle disparaissait au son des cloches des l'église (BA2).
Les enterrés vivants : les guerres et les épidémies ont eu comme effet direct l'inhumation précipitée des corps, par peur de contagion ou simplement ignorance médicale. Il était fréquent que l'on enterre des gens encore en vie, mourants, comateux ou paralysés. Ces malheureux étaient retrouvés dans d'étranges conditions dans leur cercueils, ayant lutté en vain pour s'extraire de la prison de leur sépulture. Le bruit provoqué par leurs efforts désespérés, les traces qu'ils portaient à force de se débattre (corps couverts de sang, mordus, retrouvés étouffés par leur linceul) marquèrent les hommes à l'esprit superstitieux. (C&S2)
En 1414, Sigismond de Hongrie (1368/1437) fait reconnaître officiellement les vampires par l'Église Orthodoxe, lors du concile oecuménique *.
Avec la publication en 1484 du Malleus Maleficarum de Jakob Sprenger et Heinrich Kramer, l'Église reconnaît officiellement l'existence des morts-vivants.
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L'Europe de l'Est du XVIe siècle : des conditions propices au développement des croyances vampiriques
Loin de la révolution des Lumières, l'Europe de l'Est est alors pratiquement entièrement analphabète. De plus, de nombreux habitants vivent coupés du reste du monde et sont particulièrement superstitieux : l'Église Orthodoxe est assez clémente vis à vis de la présence d'esprits (contrairement aux Églises Catholique et Anglicane qui les ont condamnés et chassés) (RDV5). La différence de mentalité se retrouve également en ce qui concerne le comportement face aux morts : là où les Orthodoxes reconnaissaient dans les cadavres non décomposés une marque diabolique, les Catholiques voyaient une marque de Sainteté (C&S4). De même, les enfants décédés en bas âge devenaient à l'Ouest des anges, et à l'Est des vampires.
Il était également reconnu depuis longtemps dans l'Europe de l'Est que les morts "mangeaient et mâchaient" dans leurs tombes (impression donnée par la décomposition naturelle des cadavres), et de nombreuses sépultures ont été découvertes renfermant des corps avec des pierres ou des pièces dans la bouche, pour les empêcher de mâcher (la coutume était systématique à partir de 1552 en Prusse et en Silésie). (RDV4) (BA3)
Deux ouvrages relatent des découvertes archéologiques attestant de tels rites funéraires : Der Schadel von Dyhernfurth in Altschlesein, par De Boehlich (1926), et Découvertes archéologiques de vampires sur le territoire d'occupation des slaves de l'Ouest par Le Professeur Rudolf Grenz de l'Université de Liepzig (1952).
Du côté de la Valachie, on tremblait encore au simple nom d'un chef d'état sanglant qui empalait aussi facilement ses propres hommes que ses ennemis Turcs, bien qu'il ne fut pas à proprement parler un vampire, Vlad Tepes (1430-1477, voir article de Smoky) qui inspira Bram Stoker quatre siècles plus tard.
Tout semble n'attendre que le vampire lui-même.
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Le XVIe siècle : épidémie à l'Est
Le XVIe siècle voit de nombreux échanges entre l'Est
et l'Ouest de l'Europe. Les voyageurs venant de l'Ouest font le récit de ces créatures dont l'extermination était devenue un fait passé et contesté. La population rurale de l'Est s'empresse de greffer ces morts-vivants à ses propres légendes et ses propres fantômes. Les histoires d'épidémie de vampires reviennent amplifiées de leur voyage à l'Est. Le Nosferatu s'est installé sans ennui, ayant trouvé là une source de pouvoir pratiquement intarissable, et attise à nouveau l'intérêt général. (C&S3)
À l'Ouest, après la « révolution galiléenne », l'Église et la Science sont à présent séparés et ont séparé le monde entre ce qui était possible et impossible. On s'interroge sur l'existence même de tout ce qui est « surnaturel » ; on cherche à le prouver ou à l'infirmer, avec la curiosité frénétique d'un scepticisme tout neuf (V&L2). Durant les deux siècles à venir, les vampires installés à l'Est sont au coeur du débat, des spécialistes de toutes part sont envoyés pour trouver et étudier des preuves tangibles, et enfin distinguer les faits réels de l'imagination.
En 1520, on recense 30'000 cas de lycanthropie (toujours confondu avec le vampire) en Europe (France, Serbie; Bohême, Hongrie). C'est une psychose générale, et l'Eglise décide d'ordonner une enquête officielle sur ce phénomène qu'elle considère alors encore comme une superstition dénuée de tout fondement. (RDV6)
En 1552, une réforme officialise le vampire, et donne les moyens de le détruire, et de prévenir sa prolifération. Puisqu'on a demandé son avis à l'Eglise Catholique Romaine, elle va répondre, après bien des hésitations : les vampires, s'ils existent, seraient selon elle des excommuniés, à qui Dieu refuse le repos éternel de l'âme ; les symboles de la foi seraient les meilleures armes contre eux. Il n'en fallait pas plus pour encourager les apparitions des vampires et codifier quelque peu leur destruction.
Le cas d'Erzsébet Bathory (1560-1614, voir l'article de Smoky) fait scandale, et bien qu'elle
ne soit pas un monstre surnaturel, elle n'en est pas moins une meurtrière, saignant des jeunes filles pour boire leur sang et s'y baigner dans l'espoir d'obtenir la jeunesse éternelle.
Encore quelques dates
En 1581, Louis Lavater (théologien de la Réforme), dans son "Traité sur les spectres et les esprits nocturnes", dénonce les spectres et les esprits comme étant possédés par le Diable. Les vampires y gagnent une variante : plutôt que d'être de simples âmes coincées dans un Purgatoire réfuté par Luther, le Diable s'emparerait de leur corps pour perpétuer son oeuvre malfaisante. (RDV4) Cela ne fait que renforcer l'emploi des objets du culte (eau bénite, croix, etc...)
En 1581, un dénommé Peter Stubbe est soupçonné être un loup-garou.
En 1597, Jacques VI d'Ecosse (futur Jacques Ier d'Angleterre) fait référence aux vampires dans sa "démonologie". Par ailleurs, il renforce en 1604 la répression contre les sorcières. (RDV4)
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* capitulaire : ordonnance des rois mérovingiens et carolingiens (ainsi appelée à cause de sa rédaction en capitula, chapîtres) (Larousse)
* concile : assemblée d'évêques, aidés de théologiens, qui décide de questions de doctrine et de discipline ecclésiastiques. (Larousse)
* concile oecuménique : (ou concile général, ou plénier) concile auquel ont été convoqués tous les évêques. (Larousse)
Sources
Loups-Garous et vampires, de Roland Villeneuve (J'ai Lu, 1970)
(LGV1) p.93 « (il) démontre que des cultes diaboliques se sont développés parallèlement à la religion officielle, et il interdit les festins de chair humaine à l'usage des rites magiques »
(LGV2) p.93 citant Collin de Plancy
(LGV3) p.94 « Herenberg cite lui aussi deux cas de vampirisme, 1337 et en 1347 »
Sang pour sang, le réveil des vampires, de Jean Marigny (Découvertes Gallimard, 1993)
(RDV1) p.21 section Le christianisme réhabilite le sang
(RDV2) p.23 section Cadaver sanguisugus
(RDV3) p.24-25 section Épidémies et superstitions
(RDV4) p.32-33 section Le « mort-vivant », suppôt de Satan
(RDV5) p.39-40 section Le vampirisme gagne les parties les plus reculées de l'Europe de l'Est
(RDV6) p.41-43 section Des broucolaques aux vampires
La chair et le sang, de R. Nolane et E. Campos (Dossiers Vaugirard, 1994)
(C&S1) p.17 section les protos-vampires du Moyen-Âge
(C&S2) p.50-56 chapitre Les enterrés prématurés
(C&S3) p.20 chapitre le vampire passe à l'Est
(C&S4) p.42 section Saints et vampires
B.A.BA des vampires, de J-P Ronecker (Pardès, 1999)
(BA1) p.59-60 chapitre VI Les vampires dans l'histoire section Antiquité
(BA2) p.64 chapitre VI Les vampires dans l'histoire section Du Moyen-Âge au XVIIIe siècle, citant aussi Agrippa d'Aubigné sur le spectre de la peste de 1586 : « Cette nuée semblait un chapeau qui avait au milieu de soi une oreille des couleurs d'une gorge de coq d'Inde, que leur spectateur jugea pareille en toute chose au flegmon qu'on lui avait arraché dans l'apostume de sa peste qu'il avait eu en Orléans. »
(BA3) p.13-16 chapitre I Les vampires : une affaire sérieuse
La Sorcière de Michelet (GF-Flammarion, 1966)
(S1) p.53 chapitre II Pourquoi le Moyen-Âge désespéra et chapitre III Le petit démon du foyer
Vampires et Lumières de Charles Porset, (A L'Orient, 2007).
(V&L1) p.9 « la science de l'époque ne distingue pas selon nos catégories le réel de l'imaginaire, le possible de l'impossible. Le monde est dominé par la catégorie de la 'magie naturelle', et tout ce qui est s'offre comme une signature de Dieu. Rien n'est à priori impossible, si bien qu'on ne se préoccupe jamais de vérifier les faits »
(V&L2) p.12 « la capacité d'émerveillement de l'homme a changé d'objet ; elle ne s'intéresse plus aux prodiges d'une nature féconde en prodiges, mais dans une perspective rationnelle et intellectuelle, elle aborde la grande merveille que constitue la machine de l'Univers »
(W1)Wikipédia France : page sur l'Inquisition Médiévale
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