Les Vampires dans l'Histoire
par Van Kiwing
Le vampire a toujours existé, partout. Certes, à ses origines, il n'a pas la classe d'un Comte Dracula : entité désincarnée, il est la peur de l'invisible, du danger, de l'inconnu, de la maladie, de la mort, de l'informe. Lui-même est informe — ou plus exactement, polymorphe. On le confond facilement avec la goule, le fantôme ou le loup-garou. Peu importe, il est là. Dans toutes les cultures, de la plus primitive à la plus industrialisée, il est présent : il est le Voleur de Vie.
Partie I - Partie II
Publication : 3 février 2000
Modifications : 12 avril 2010, 12 novembre 2012, janvier 2014
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Le XVIIIe siècle : Psychose
Après avoir espacé ses apparitions pendant près d'un siècle, le vampire perturba à nouveau les esprits en cette fin du XVIIe siècle, et une nouvelle vague de chasse aux vampires déferla, qui correspondait à peu près à l'époque des plus importantes chasses aux sorcières de l'histoire du Christianisme. Dans les salons littéraires, on aime se faire peur. C'est la période du Gothique, ou Roman noir, et le diable fait partie des sujets de prédilection. Les traités de voyageurs qui sont allés à l'est, où le vampire s'est « institutionnalisé », se multiplient. Dans les campagnes on tremble, en proie à une obsession morbide qui tourne à une panique réelle... On voyait des vampires partout, les polémiques concernant leur existence réelle battaient leur plein.
Il est intéressant de noter que le vampire était étudié uniquement par les « étrangers » de l'Ouest, les habitants des pays de l'Est sujets au vampirisme conservaient la légende malléable au gré de la transmission orale.
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Publications et faits importants au XVIIIe siècle
En 1645, Léone Allacci de Cologne traite des vrykolakas (qu'il appelle bulcolaca) dans son traité De Graecorum hodie quorundam opinationibus (« de certaines croyances modernes des Grecs ») : il les décrit comme des corps morts, possédés par le diable, qui se relèvent d'entre les morts et répandent la maladie et la mort. Il note que les prêtres Grecs s'opposent à la destuction courante par le feu car celle-ci prive le défunt de toute résurrection lors du Jugement Dernier ; ils proposent l'absolution comme méthode alternative.
En 1679, Philip Roth, de l'Université de Liepzig, écrit un traité De masticatione mortuorum sur ces fameux morts qui mâcheraient et les cadavres non-décomposés.
En 1693 et 1694, la revue Le Mercure Galant publie plusieurs articles sur le sujet des Stryges de Russie et de Pologne (en mai 1693, février et novembre 1694).
1710, épidémie de peste en Prusse.
En 1717, la publication posthume de Relation d'un voyage au levant par le botaniste Joseph Pitton de Tournefort traite du folklore de Grèce et de Hongrie qu'il a rencontré lors de voyages au début du siècle, et décrit notamment une cérémonie de « réparation » (entendre : empalement et crémation) sur un broucolaque de l'île de Mykonos.
1720 à 1723, la peste atteint Marseille.
En 1725 un dénommé Pierre Plogojowitz (Kisilona) est accusé de vampirisme.
En 1728, De masticatione mortuorum in tumulis par Michel Ranft (lui aussi de l'Université de Liepzig) vient contredire Philip Roth sur ses théories de morts qui mâchent, sans pour autant apporter une réponse claire.
De 1730 à 1741 une grande épidémie vampirique s'abat sur la Hongrie, la Moravie, la Serbie, la Grèce, la Lorraine...
En 1732, Visum et repertum par Johannes Fluckinger témoigne de la « réparation » de vampire. Cet ouvrage a contribué énormément à faire voyager la peur du vampire à travers toute l'Europe.
Le 3 mars 1732, dans la revue franco-hollandaise Le Glaneur, apparait pour la première fois en français le mot vampire. Cette publication contient une traduction du livre de Johannes Fluckinger, et rapporte plusieurs cas de vampires présumés : celui de Arnold Paole (environ 1726, il aurait été mordu par un vampire avant sa mort), celui de Stana (une jeune femme enceinte morte à 20 ans en couches), celui de Miliza (une vieille femme de 50 ans de Metwett ayant été « contaminée » par de la viande d'animaux victimes de vampires) et enfin Miloch (un vieil homme de 50 ans du village de Radojevo).
Le 11 mars 1732, dans le London Journal le mot vampire apparaît pour la première fois en anglais.
En septembre 1732, un cas de vampirisme est signalé à Kisilova (près de Gradish), il s'agit d'un vieillard de 62 ans qui avait attaqué son fils. A Vienne, 17 cadavres furent jugés pour vampirisme, condamnés, décapités et enfin brûlés.
1733, Dissertatio de Vampiris Serviensibus, par John Jeinrich Zoft, est un traité consacré aux vampires.
En 1746, Buffon emprunte le terme vampyr à l'allemand, qui l'a dérivé du Serbe.
En 1751, est publié le livre qui sera longtemps la référence en matière de vampirisme : le tome 2 du Traité des apparitions, etc. par Dom Augustin Calmet (le tome 1 fut publié en 1749). Cet ecclésiastique a été prié par l'Eglise de faire une étude sur le surnaturel, et il a entrepris de consigner toutes les légendes et les procès qu'il a pu trouver. Il conclut à l'impossibilité de l'existence des vampires et déclare que leurs « méfaits » ne sont dûs qu'à la forte imagination des victimes.
1755, procès contre 7 morts en Moldavie
1755 Dans son Rapport médical sur les vampires, Gérard Van Swieten s'indigne contre l'ignorance des causes naturelles des prétendus phénomènes vampiriques et l'empressement de croire au surnaturel.
Entre 1749 et 1756, le Pape Benoix XIV dénonce les vampires puis se retracte. Le rationalisme gagne du terrain, les esprits sont moins enclins à la superstition.
En 1771, le Dictionnaire de Trévoux offre une définition du vampire. Louis-Antoine de Caraccioli (Paris) explique l'incorruption des corps par leur inhumation dans une terre particulière et conclue à la superstition.
1774, Dissertatione sopra i vampiri, par Giuseppe Davanzati (Naple). Il décrit le vampirisme comme un phénomène semblable aux fantômes.
En 1787, Voltaire rédige son article dans le Dictionnaire Philosophique. Le rationalisme a gagné, la science enterre le folklore. Le Vampire, ainsi que bien d'autres créatures malfaisantes, fut relégué au rang de superstitions populaires. A fur et à mesure que la peur décroit, le vampirisme disparaît pour céder la place aux terreurs sanguinaires de la Révolution.
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Le XIXe siècle : le Romantisme noir
Le Vampire n'est plus le bouc émissaire des maladies, et privé de cet important moteur, il aurait dû disparaître à jamais. Cependant, il se releva de ses cendres, au coeur de l'Angleterre du XIXe siècle alors en proie à une révolution industrielle doublée d'un froid matérialisme rigide et étouffant.
Au milieu d'une société qui réprimait tant l'âme humaine, la littérature replongea directement ses racines dans ce qui n'était plus que folklore. Le Fantastique, populaire depuis le XVIIIème, et renouant avec les démons familiers de l'âme, devint un moyen de se soustraire à cette réalité oppressante, et se fit porte-parole de l'inconscient que Sigmund Freud allait bientôt mettre à l'honneur.
Le vampire se releva, donc, pour prendre possession de son nouveau royaume, celui de nos peurs déguisées sous le masque de la fiction fantastique. D'abord sous la plume de Polidori (The Vampyr, 1819 et sa suite française Lord Ruthven et les vampires par Cyprien Berard, de 1820), puis sous celle de LeFanu (Carmilla, 1872).
Il fait également l'objet de quelques études (les ouvrages de Montague Summers (1880-1948), ou un article dans le Dictionnaire infernal de Collin de Plancy, qui raconte l'histoire du vampire
Harppe).
Un cas de vampirisme, néanmoins : en 1871, celui de Croglin Grange, qui fut romancé par la suite.
De nombreux feuilletons, publiés au rythme d'un épisode par jour ou par semaines dans les journaux, mirent en scène des vampires : Varney the Vampire, publié entre 1845 et 1847 sous la forme d'un Penny Dreadful, en est un des meilleurs exemples anglo-saxons. La France n'échappa pas à la mode, avec par exemple Le Mauvais Oeil, une histoire roumaine publié en 1877 dans le journal Le Gaulois.
Puis il fut transporté au sommet de sa gloire d'héros de fiction sous les traits désormais immuables de Dracula, de Bram Stoker. (1892)
Le roman, extrêmement documenté d'après les ouvrages du siècle précédent, et bien que l'auteur n'ait jamais mis les pieds en ce qui fut la Transylvanie, porte en lui la force des anciennes croyances, mais il les réduit néanmoins de façon involontaire à une caricature de ce qui fut le Voleur de Vie.
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Le XXe siècle, et aujourd'hui...
Le succès du Dracula entraîna de nombreuses adaptations cinématographiques : du Nosferatu de Murnau (1922), et du Dracula de Tod Browning, premier film parlant sur les vampires (1931) au Bram Stoker's Dracula de F.F. Coppola (1992), plus de deux centaines de films sont consacrés au célèbre Comte. Cela acheva de répandre le Nosferatu et d'effectuer le remplacement des autres formes de vampires dans les esprits. Malheureusement, il tient souvent sur les écrans plus du ridicule que d'autre chose...
Le Vampire est désormais diffusé à volonté par la télévision et la littérature sous des déformations plus ou moins infantiles (Comme la série Draculito), et cela a pour effet un conditionnement de l'esprit, une connaissance du mythe ancré dans l'esprit populaire. Tout le monde connait le Vampire, sous l'un de ses dérivés, que se soit pour enfants, ou par une parodie, ou les films d'horreur. Il est devenu un produit de marketing, mais son attrait mercantile traduit la fascination qu'exerce le mythe toujours caché derrière l'image médiatisée. (Cf. "L'Image du vampire")
Le mot vampire est souvent employé à tort et à travers, dans des cas de criminalité sanglante
ayant aussi bien trait au cannibalisme qu'à la sauvagerie ou encore à des évènements politiques qui nuisent plus ou moins à sa réputation : fascisme nazi, crises économiques.... Néanmoins, John Haigh (arrété et executé en 1949) buvait bien le sang de ses victimes avant de dissoudre leur corps dans un bain d'acide.
Il arrive aussi au vampire d'être le sujet de canulars ridicules ou douteux, comme ce fait divers de mars 1970 qui se déroulait dans le cimetière de Highgate, à Londres : le vampire supposé a bien sagement obéi à toutes les lois du vampire de cinéma.
Parallèlement à cela, le vampire se trouve examiné sous toutes les coutures (mais il a l'habitude depuis le XVIIIe siècle) dans de nombreux ouvrages contemporains (cf. Littérature), touchant à la tradition, à la mythologie, à l'archéologie, et même à la médecine (en 1985, David Dolphin publia une thèse sur une maladie génétique liée à la consanguinité et appelée la « maladie du vampire », la prophyrie) mais également par la psychanalyse, qui découvre en lui un archétype porteur de symboles intemporels.(cf. Symbolisme)
Quand à la littérature, elle promet de beaux jours au Buveur de Sang, car les auteurs qui cherchent à dépasser l'image figée du Comte Dracula et ainsi à renouveler le sujet, puisent à nouveau dans les racines du mythe. Le vampire peu à peu redevient polymorphe, à travers les yeux et l'âme de ceux qui contribuent à sa survivance en le nourrissant de leur propre passion. Toujours reflet de l'âme humaine, ayant subsisté justement grâce à la force de ce reflet, le vampire n'est pas prêt de disparaître.
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Sources
Loups-Garous et vampires, de Roland Villeneuve (J'ai Lu, 1970)
Sang pour sang, le réveil des vampires, de Jean Marigny (Découvertes Gallimard, 1993)
La chair et le sang, de R. Nolane et E. Campos (Dossiers Vaugirard, 1994)
B.A.BA des vampires, de J-P Ronecker (Pardès, 1999)
La Sorcière de Michelet (GF-Flammarion, 1966)
Vampires et Lumières de Charles Porset, (A L'Orient, 2007)
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