CRITIQUES DE LIVRES
Dracula l'Immortel
(Dracula The Un-Dead), de Dacre Stoker et Ian Holt
Histoire
25 ans après les évènements de Dracula, Quincey Harker cherche sa voie dans le théâtre en France,
alors que des cadavres mutilés font leur apparition dans la capitale française, ainsi qu'à Londres... le vampire serait-il de retour ?
Commentaire
Dracula l'Immortel est un roman de Dacre Stoker, l'arrière-petit-neveu de Bram Stoker, et de Ian Holt, spécialiste
du personnage de Dracula.

couverture de l'édition française, Michel Lafon
Adressons le problème tout de suite : faire une suite à Dracula, c'était risqué.
Faire une suite à Dracula pour s'adresser à des lecteurs modernes en changeant le style d'écriture, c'était encore plus risqué.
Faire une suite à Dracula pour s'adresser à des fans des films qui n'ont jamais lu le livre en incluant des éléments exclusifs au cinéma, ça devenait dément.
Faire une suite à Dracula en incorporant des idées rejetées trouvées dans les notes de Bram Stoker même si ça ne collait plus avec l'histoire, ça frisait l'insensé.
Faire une suite à Dracula en incorporant TOUTES les propositions ci-dessus, c'était... une drôle d'idée, vraiment.
Parce que voilà, pour réussir à faire tout ça, il a fallu changer le roman d'origine.
C'est particulièrement le stratagème narratif employé qui me chiffonne : l'idée est que Bram Stoker a bien écrit un livre, tel qu'il a été publié,
mais qu'il s'est trompé. Et il s'est trompé partout, depuis la date des évènements (changée pour coller à Jack L'Éventreur)
aux motivations du comte Dracula (non mais il est gentil au fond !) (au fond de quoi je ne sais pas, mais bon).
Bien sûr, ça a déjà été fait, mais souvent avec le point de vue de Dracula qui raconte (en râlant) combien il a été incompris.
Cela respecte la forme originale de Dracula où chacun raconte son point de vue des évènements à travers des lettres, des récits, ou des rapports.
Avec ce genre d'approche, finalement, chacun peut avoir sa version des faits selon comment il a vécu ce qui est arrivé, ce qui laisse toujours
des ambiguïtés d'interprétation.
Ici c'est beaucoup moins amusant : Bram Stoker s'est simplement trompé et tous les points de vue de l'histoire, racontés à la 3e personne
donc de façon moins personnelle, nous le confirment.
Dans tous les cas, cette rectification générale provoque une sorte de dissonance cognitive,
d'autant plus forte que la réécriture est bien plus faible que le roman d'origine. L'un des enjeux se situe sans doute dans la recherche historique :
là ou on avait une peinture contemporaine de la société de fin de XIXe siècle, avec ses codes sociaux et des découvertes vraiment récentes intégrées
dans la narration et l'établissement des personnages, on a ici une recréation plus ou moins exacte, qui choisit des éléments « chocs » absolument anecdotiques,
comme un détour en avion par le sud de la France, qui déroutent l'intérêt plutôt que de servir l'histoire.

4e de couverture de l'édition française, Michel Lafon (10 points pour ceux qui reconnaîtront le prix jaune)
L'autre enjeu est bien plus grave : les personnages. L'on nous présente par exemple
Jonathan Harker comme ayant sombré dans l'alcool et la débauche après s'être éloigné de Mina
(pauvre, pauvre Harker, on lui aura vraiment tout fait, en plus d'être joué par Keanu Reeves)
mais cette version du personnage est un peu trop caricaturale pour effacer vraiment le souvenir du Harker original.
Toute la trame de Quincey, à cause de cela, ne décolle jamais vraiment de la rébellion capricieuse d'un adolescent.
De la même façon, l'inspecteur Cotford serait sans doute un bon personnage de roman policier, mais il est ici confronté à Van Helsing.
Van Helsing, quoi ! Qu'il soupçonne d'être Jack l'Éventreur et de continuer à tuer des adultes en pleine forme alors qu'il est désormais âgé et handicapé.
Il l'accuse également de ne pas avoir respecté les groupes sanguins avant qu'ils n'aient été découverts par la science.
Le raisonnement est parfois tellement improbable, même devant cette version plus dark de Van Helsing, que ça ne tourne pas en faveur de l'inspecteur.
L'introduction de la remplaçante de Dracula (parce qu'il faut bien un méchant dans une histoire de vampires !) est elle aussi plutôt maladroite.
Là où Dracula ne faisait que suggérer le lien entre le comte vampire et le Vlad Tepes historique, la comtesse Bathory
(plus ou moins mélangée à Carmilla ? non ? c'est juste moi ?)
a droit à une backstory sordide et bancale qui détruit toute once de mystère qui aurait pu rendre son personnage intéressant.
Donc en gros, au fil des chapitres,
on se retrouve avec des parodies de personnages connus et aimés qui se font déchoir et éliminer les uns après les autres
et qu'on n'a pas envie de suivre dans cette nouvelle incarnation parce qu'on n'est pas masochistes,
et des nouveaux personnages un peu boiteux qu'on n'a pas envie de suivre parce qu'ils ne sont pas à la hauteur de leurs prédécesseurs.
Je vois bien où le concept de déconstruction du roman original aurait pu mener. Mais l'exercice était périlleux. Trop périlleux, sans doute.
Personnellement, j'ai eu tellement de mal à entrer dans le livre que je devais me forcer à le lire.
Ça ne m'arrive que très rarement, et j'ai fini par laisser tomber pour passer à autre chose.
Pour être honnête, je suppose que le roman en lui-même n'est pas si mauvais, l'écriture est plutôt intéressante et sa trame aurait pu fonctionner
en tant qu'œuvre originale, mais ce qui le tue vraiment est la comparaison constante avec Dracula. Comparaison
rendue inévitable hélas par l'argument de vente d'être la « seule fiction littéraire soutenue par la famille du créature de Dracula ».

C'est même carrément écrit sur la 4e de couverture...
Évidemment qu'il est soutenu par la famille, puisque c'est écrit par un Stoker... J'ai cru comprendre que le roman était tombé
dans le domaine public aux USA et que c'était une manière de récupérer les droits... mais si c'est la véritable raison d'être du roman, ça ne me fait pas l'apprécier plus.
Je pense dans tous les cas que Bram Stoker (ou son éditeur) avait de bonnes raisons pour rejeter ces notes et ces idées, et qu'il n'aurait pas fallu les utiliser.
Après tout il y avait déjà un excellent livre tiré des notes originales de Bram Stoker, et c'est Dracula.
En bref, Dracula l'Immortel n'est pas nécessairement un mauvais roman, mais ce n'est certainement pas un cadeau à faire à un fan de Dracula.
    - Van Kiwing
|
|
Couverture |
 |
Publication |
Publication : 2009
Éditeur : Dutton, Penguin Group (USA) Inc.
Origine : USA
|
Édition française |
Publication : 2009
Éditeur : Michel Lafon
ISBN 13 : 978-2-7499-1109-0
Traduction : Jean-Noël Chatain
|
|