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Dictionnaire infernal (Collin de Plancy, 1818)
Broucolaques ou vroucolaques
Nom que les Grecs donnent à leurs vampires ou spectres d'excommuniés.
Ils sont persuadés que ces excommuniés ne peuvent pourrir
dans leur tombeau, qu'ils appraissent la nuit comme le jour, et qu'il est
très dangereux de les rencontrer. Léon Allatius, qui écrivait
au XVIe siècle, entre là-dessus dans de grands détails;
il assure que dans l'île de Chio les habitants ne répondent
que lorsqu'on les appelle deux fois, car ils sont persuadés ques
les broucolaques ne les peuvent appeler qu'une fois seulement. Ils croient
encore que quand un broucolaque appelle une personne vivante, si cette personne
répond, le spectre disparaît; mais celui qui a répondu
meurt au bout de quelques jours. On raconte la même chose des vampires
de Bohême et de Moravie.
Le Récit de Ricault
Pour se garantir de la funeste influence des broucolaques, les Grecs déterrent
le corps du spectre et le brûlent, après avoir récité
sur lui des prières; alors ce corps réduit en cendres ne parait
plus. Ricault, qui voyagea dans le Levant au XVIIe siècle, ajoute
que la peur des broucolaques est générale aux Turcs comme
aux Grecs. Il raconte un fait, qu'il tenait d'un caloyer candiot, qui lui
avait assuré la chose avec serment. Un homme étant mort excommunié,
pour une faute qu'il avait commise dans la Morée, fut enterré
sans cérémonies dans un lieu écarté et non en
terre sainte; les habitants furent bientôt effrayés par d'horribles
apparitions, qu'ils attribuèrent à ce malheureux. On ouvrit
son tombeau au bout de quelques années, on y trouva son corps enflé,
mais sain et bien dispos; ses veines étaient gonflées du sang
qu'il avait suçé; on reconnut en lui un broucolaque. Après
qu'on eut délibéré sur ce qu'il y avait à faire,
les caloyers furent d'avis de démembrer le corps, de le mettre en
pièces, et de le faire bouillir dans le vin, car c'est ainsi qu'ils
en usent, de temps très ancien, envers les broucolaques. Mais les
parents obtinrent, à force de prières, qu'on différât
celle exécution; ils envoyèrent en diligence à Constantinople,
pour obtenir du patriarche l'absolution dont le défunt avait besoin.
En attendant, le corps fut mis dans l'église, où l'on disait
tous les jours des prières pour son repos. Un matin que le caloyer
faisait le service divin, on entendit tout d'un coup une espèce de
détonation dans le cerceul; on l'ouvrit et l'on trouva le corps dissous,
comme doit l'être celui d'une mort enterré depuis sept ans.
On remarqua le moment où le bruit s'était fait entendre; c'était
précisément l'heure ou l'absolution accordée par le
patriarche avait été signée.
Les Grecs et les Turcs s'imaginent que les cadavres des broucolaques mangent
pendant la nuit, se promènent, font la digestion de ce qu'ils ont
mangé, et se nourrissent réellement. Ils content qu'en déterrant
ces vampires, on en a trouvé qui étaient d'un coloris vermeil,
et dont les veines étaient tendues par la quantité de sang
qu'ils avaient suçé; que lorsqu'on leur ouvre le corps il
en sort des ruisseaux de sang aussi frais que celui d'un jeune homme d'un
tempérament sanguin. Cette opinion populaire est si généralement
répandue, que tout le monde en raconte des histoires circonstanciées.
L'usage de brûler des corps de vampires est très ancien dans
plusieurs pays. Guillaume de Neubrige, qui vivait au XIIe siècle,
raconte que, de son temps, on vit en Angleterre, dans le territoire de Buckingham,
un spectre qui apparaissait en corps et en âme, et qui vint épouvanter
sa femme et ses parents. On ne se défendait de sa méchanceté
qu'en faisant grand bruit lorsqu'il approchait; il se montra même
à certaines personnes en plein jour. L'évêque de Lincoln
assembla sur cela son conseil, qui lui dit que pareilles choses étaient
souvent arrivés en Angelterre, et que le seul remède que l'on
connût à ce mal était de brûler le corps du spectre.
L'évêque ne put goûter cet avis qui lui parut cruel.
Il écrivit une cédule d'absolution; elle fut mise sur le corps
du défunt que l'on trouva aussi frais que le jour de son enterrement,
et depuis lors le fantôme ne se montra plus. Le même auteur
ajoute que les apparitions de ce genre étaient alors très
fréquentes en Angleterre.
Quand à l'opinion répandue dans le Levant, que les spectres
se nourrissent, on la trouve établie depuis plusieurs siècles
dans d'autres contrées. Il y a longtemps que les Allemands sont persuadés
que les morts mâchent comme des porcs dans leurs tombeaux,
et qu'il est facile de les entendre grogner en broyant ce qu'ils dévorent.
Philippe Rherius, au XVIIe siècle, et Michel Raufft, au commencement
du XVIIIe, ont même publié des traités, sur les morts
qui mangent dans leurs sépulcres. Après avoir parlé
de la persuasion où sont les Allemands qu'il y a des morts qui dévorent
des linges et tout ce qui est à leur portée, même leur
propre chair, ces écrivains remarquent qu'en quelques endroits de
l'Allemagne, pour empêcher les morts de mâcher, on leur met
dans le cerceuil une motte de terre sous le menton; qu'ailleurs on leur
fourre dans la bouche une petite pièce d'argent et une pierre; et
que d'autres serrent fortement leur gorge avec un mouchoir. Ils citent des
morts qui se sont dévorés eux-mêmes dans leur sépulcre.
On doit s'étonner de voir des savants trouver quelque chose de prodigieux
dans des faits aussi naturels.
Pendant la nuit qui suivit les funérailles du comte Henri de Salm,
on entendit dans l'église de l'abbaye de Haute-Seille, où
il était enterré, des cris sourds que les Allemands auraient
sans doute pris pour le grognement d'une personne qui mâche; et le
lendemain, le tombeau du comte ayant été ouvert, on le trouva
mort, mais renversé et le visage en bas, au lieu qu'il avait été
inhumé sur le dos. On l'avait enterré vivant. On doit attribuer
à une cause semblable l'histoire rapportée par Raufft, d'une
femme de Bohême qui, en 1345, mangea, dans sa fosse, la moitié
de son linceul sépulcral. Dans le dernier siècle, un pauvre
homme ayant été inhumé précipitamment dans le
cimetière, on entendit, pendant la nuit, du bruit dans son tombau;
on l'ouvrit le lendemain, et on trouva qu'il s'était mangé
les chairs des bras. Cet homme ayant bu de l'eau-de-vie avec excès
avait été enterré vivant.
Une demoiselle d'Augsbourg tomba dans une telle léthargie qu'on la
crut morte; son corps fut mis dans un caveau profond, sans être couvert
de terre; on entendit bientôt quelque bruit dans le tombeau; mais
on n'y fit point attention. Deux ou trois ans après, quelqu'un de
la même famille mourrut; on ouvrit le caveau, et l'on trouva le corps
de la demoiselle auprès de la pierre qui en fermait l'entrée;
elle avait en vain tenté de déranger cette pierre, et elle
n'avait plus de doigts à la main droite, qu'elle s'était dévorée
de désespoir. Mais revenons aux broucolaques ou vampires grecs.
Le Récit de Tournefort
Tournefort raconte, dans le tome 1er de son voyage au Levant, la manière
dont il vit exhumer un broucolaque de l'île de Mykonon, où
il se trouvait en 1701. C'était un paysan d'un naturel chagrin et
querelleur, circonstance qu'il faut remarquer dans de pareils sujets; il
faut tué à la campagne, on ne sait par qui, ni comment. Deux
jours après qu'on l'eut inhumé dans une chapelle de la ville,
le bruit courut qu'on le voyait la nuit se promener à grands pas,
et qu'il venait dans les maisons renverser les meubles, éteindre
les lampes, embrasser les gens par-derrière, et faire mille petits
tours d'espiègle. On ne fit qu'en rire d'abord; mais l'affaire devient
sérieuse, lorsque les plus honnêtes gens commençèrent
à se plaindre. Les papas (prêtres grecs) convenaient eux-mêmes
du fait, et sans doute ils avaient leurs raisons; car on ne manqua pas faire
dire des messes.
Cependant le spectre continuait la même vie. On décida enfin,
dans une assemblée des principaux de la ville, des prêtres
et des religieux, qu'on attendrait, selon je ne sais quel ancien cérémonial,
les neufs jours après l'enterrement. Le dixième jour, on
dit une messe dans la chapelle où était le corps, afin de
chasser le démon que l'on croyait s'y être renfermé.
La messe dire, on déterra le corps et on se mlet en devoir de lui
ôter le coeur; ce qui excita les applaudissements de toute l'assemblée.
Le corps sentait si mauvais que l'on fut obligé de brûler de
l'encens; mais la fumée, confondue avec la mauvaise odeur, ne fit
que l'augmenter, et commença d'échauffer la cervelle de ces
pauvres gens : leur imagination se remplit de vision. On s'avisa de dire
qu'il sortait une épaisse fumée de ce corps. Nous n'osions
pas assurer, dit Tournefort, que c'était celle de l'encens. On ne
criait que Vroucolacas dans la chapelle et dans la place. Le bruit se répandait
dans les rues comme par mugissements, et ce nom semblait fait pour tout
ébranler.
Plusieurs assistants assuraient que le sang était encore tout vermeil,
d'autres juraient qu'il était encore tout chaud, d'ou l'on concluait
que le mort avait grand tort de n'être pas mort, ou, pour mieux dire,
de s'être laissé ranimer par le diable. C'est là précisément
l'idée qu'on a d'un broucolaque ou vroucolaque. Les gens qui l'avaient
mis en terre prétendirent qu'ils s'étaient bien aperçus
qu'il n'était pas raide lorsqu'on le transportait de la campagne
à l'église pour l'enterrer, et que, par conséquent,
c'était un vrai broucolaque; c'était le refrain. Enfin, on
fut d'avis de brûler le coeur du mort qui, après cette exécution,
ne fut pas plus docile qu'auparavant. On l'accusa encore de battre les gens
la nuit, d'enfoncer les portes, de déchirer les habits, et de vider
les cruches et les bouteilles. C'était un mort bien altéré.
Je crois, ajoute Tournefort, qu'il n'épargna que la maison du consul
chez qui nous logions.
Mais tout le monde avait l'imagination renversée; c'était
une vraie maladie de cerveau, aussi dangereuse que la manie et la rage.
On voyait des familles entières abandonner leurs maisons, portant
leurs grabats à la place pour y passer la nuit : les plus sensés
se retiraient à la campagne. Les citoyens un peu zélés
pour le bien public assuraient qu'on avait manqué au point le plus
essentiel de la cérémonie. Il ne fallait, disaient-ils, célébrer
la messe qu'après avoir ôté le coeur du défunt.
Ils prétendaient qu'avec cette précaution on n'aurait pas
manqué de surprendre le diable; et sans doute il n'aurait eu garde
d'y revenir; au lieu qu'ayant commencé par la messe, il avait eu
le temps de rentrer, après s'être d'abord enfuit.
On fit cependant des processions dans toute la ville pendant trois jours
et trois nuits; on obligea les papas de jeûner; on les voyait courir
dans les maisons, le goupillon à la main, jeter de l'eau bénite
et en laver les portes; il sen remplissaient même la bouche de ce
pauvre broucolaque, que l'on accusait d'avoir commis les péchés
les plus abominables. On se détermina à faire le guet pendant
la nit, et on arrêta quelques vagabonds qui assurément avaient
part à tout ce désordre; mais on les relâcha trop tôt,
et deux jours après, pour se dédommager du jeûne qu'ils
avaient fait en prison, ils recommencèrent à cider les cruches
de vin de ceux qui avaient quitté leur maison la nuit. On fut donc
obligé de recourir de nouveau aux prières.
Un matin que l'on récitait certaines oraisons, après avoir
plantéé quantité d'épées nues sur la
fosse du cadavre, que l'on déterrait trois ou quatre fois par jour,
suivant le caprice du premier venu, un Albanais qui se trouvaiut à
Mykonos s'avisa de dire, d'un ton de docteur, qu'il était ridicule
de servir, en pareils cas, des épées des chrétiens.
"Ne voyez-vous pas, pauvres gens, ajouta-t-ilque la garde de ces épées,
faisant une croix avec la poignée, empêche le diable de sortir
de ce corps? Que ne vous servez-vous plutôt des sabres des Turcs?"
L'avis ne servit de rie; le broucolaque ne fut pas plus traitable, et on
ne savait plus à quel Saint se vouer, lorsqu'on résolut tout
d'une voix unanime de brûler le corps tout entier; après cela
ils défaient bien le diable de s'y nicher.
On prépara donc un bûcher avec du goudron, à l'extrémité
de l'île de Saint-Georges, et les débris du corps furent consumés
le 1er janvier 1701. Dès lors on n'entendit plus parler du broucolaque.
On se contenta de dire que le diable avait été bien attrapé
cette fois-là, et l'on fit des chansons pour le tourner en ridicule.
Dans tout l'Archipel, ajoute Tournefort, on est bien persuadé qu'il
n'y a que les Grecs du rite grec dont le diable ranime les cadavres. Les
habitants de l'île de Santorin appréhendent fort ces sortes
de spectres; ceux de Mykonos, après que leur visions furent dissipées,
craignaient également les poursuites des Turcs et celles de l'évêque
de Tine. Aucun prêtre ne voulut se trouver à Saint-Georges,
quand on brûla le corps, de peur que l'évêque n'exigeât
une somme d'argent pour avoit fait déterrer et brûler le mort
sans sa permission. Pour les Turcs, il est certain qu'à la première
visite ils ne manquèrent pas de faire payer à la communauté
de Mykonos le sang de ce pauvre revenant, qui fut, en toute manière,
l'abomination et l'horreur de son pays.
Cette anecdote est sans doute un peu longue; mais elle est très importante
pour l'histoire du vampirisme.
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