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Dictionnaire infernal (Collin de Plancy, 1818)
Vampires :
Ce qu'il y a de plus étonnant dans l'histoire des vampires, c'est
qu'ils ont partagé, avec nos grands philosophes, l'honneur d'étonner
le XVIIIe siècle; c'est qu'ils ont épouvanté la Lorraine,
la Prusse, la Silésie, la Pologne, la Moravie, l'Autriche, la Russie,
la Bohême et tout le nord de l'Europe, pendant que les sages de l'Angleterre
et de la France renversaient d'une main hardie et sûre les superstitions
et les erreurs populaires. Chaque siècle, il est vrai, a eu ses modes;
chaque pays, comme l'observe dom Calmet, a eu ses préventions et
ses maladies; mais les vampires n'ont point paru avec tout leur éclat
dans les siècles barbares et chez les peuples sauvages; ils se sont
montrés au siècle des Diderots et des Voltaires, dans l'Europe,
qui se dit civilisée. On a donné le nom d'upiers, oupires
et plus généralement vampires à des hommes morts
depuis plusieurs années, ou du moins depuis plusieurs mois, qui revenaient
en corps et en âme, parlaient, marchaient, infestaient les
villages, maltraitaient les hommes et les animaux, suçaient le sang
de leur proches, les épuisaient, et enfin leur causaient la mort
(c'est la définition qu'en donne dom Calmet). On ne se délivraient
de leurs dangereuses visites et de leurs infestations qu'en les exhumant,
les empalant, leur coupant la tête, leur arrachant le coeur ou en
les brûlant. - Ceux qui mouraient suçés devenaient vampires
à leur tour.
Les journaux publics de la France et de la Hollande parlent, en 1693 et
1694, des vampirs qui se montraient en Pologne, et surtout en Russie. On
voit dans Le Mercure Galant de ces deux années que c'était
alors une opinion très répandue chez ces peuples que les vampires
apparaissaient de midi à minuit; qu'ils suçaient le sang des
hommes et des animaux vivants avec tant d'avidité que souvent ce
sang leur sortait par la bouche, par les narines, par les oreilles; et quelques
fois leur cadavres nagaient dans le sang répandu dans leus cercueils.
On disait que ces vampires, ayant continuellement grand appétit,
mangeaient aussi les linges qui se trouvaient autour d'eux; on ajoutait
que, sortant de leur tombeaux, ils allaient la nuit embrasser violement
leur parents ou leur amis, à qui ils suçaient le sang, en
leur pressant la gorge pour les empêcher de crier. Ceux qui étaient
suçés s'affaiblissaient tellement qu'ils mouraient presque
aussitôt. Ces persécutions ne s'arrêtaient pas à
une personne seulement; elles s'étendaient jusqu'au dernier de la
famille ou du village (car le vampirisme ne s'est guère exerçé
dans les villes), à moins qu'on en interrompit le cours en coupant
la tête ou en perçant le coeur du vampire dont on trouvait
le cadavre mou, flexible, mais frais, quoique mort depuis très lontemps.
Comme il sortait de ces corps une grande quantité de sang, quelques-uns
le mélaient avec de la farine, pour en faire du pain : ils prétendaient
qu'en mangeant ce pain ils se garantissaient des atteintes du vampire.
Voici quelques histoires de vampires.
M. de Vassimont, envoyé en Moravie par le duc de Lorraine, Léopold
Ier, assurait, dit dom Calmet, que ces sortes de spectres apparaissaient
fréquemment, et depuis fort longtemps chez les Moraves, et qu'il
était assez ordinaire dans ce pays-là de voir des hommes,
morts depuis qeulques semaines, se présenter dans les compagnies,
se mettre à table sans rien dire avec les gens de leur connaissance,
et faire un signe de tête à quelqu'un des assistants, lequel
mourait infailliblement quelques jours après. Un vieux curé
confirme ce fait à M. de Vassimont, et lui en cita même plusieurs
exemples qui s'étaient, disait-il, passés sous ses yeux. Les
évêques et les prêtres du pays avaient consulté
Rome sur ces matières embarrassantes; mais le Saint-Siège
ne fit point de réponse, parce qu'il regardait tout cela comme des
visions ridicules.
Dès lors, on s'avisa de déterrer les corps de ceux qui revenaient
ainsi, de les brûler ou de les consumer en quelque autre manière;
et ce fut par ce moyen qu'on se délivra de ces vampires, qui devinrent
de jour en jour moins fréquents.
Magia posthuma
Toutefois, ces apparitions donnèrent lier à un petit ouvrage
composé par Ferdinand de Shertz, et imprimé à Olmütz,
en 1706, sous le titre de Magia posthuma. L'auteur raconte qu'en
un certain village une femme, étant morte munie de tous ses sacrements,
fut enterrée dans le cimetière à la manière
ordinaire. On voit que ce n'était point une excommuniée. Quatre
jours après son décès, les habitants du village entendirent
un grand bruit, et virent un spectre qui paraissait, tantôt sous la
forme d'un chien, tantôt sous celle d'un d'un homme, non à
une personne seulement, mais à plusieurs. Ce spectre serrait à
la gorge de ceux à qui il s'adressait, leur comprimait l'estomac
jusqu'à les suffoquer, leur brisait presque tout le corps et les
réduisait à une faiblesse extrême, en sorte qu'on les
voyait pâles, maigres et exténués. Les animaux même
n'étaient pas à l'abri de sa malice; il attachait les vaches
l'une à l'autre par la queue, fatiguait les chevaux, et tourmentait
tellement le bétail de toute sorte, qu'on entendait partout que mugissements
et cris de douleur. Ces calamités durèrent plusieurs mois
; on ne s'en délivra qu'en brûlant le corps de la femme vampire.
L'auteur de la Magia posthuma raconte une autre anecdote plus singulière
encore. Un pâtre du village de Blow, près la ville de Kadam
en Bohême, apparut quelque temps après sa mort avec les symptômes
qui annoncent le vampirisme. Ce spectre appelait par leur nom certaines
personnes, qui ne manquaient pas de mourir dans la huitaine. Il tourmentait
ses anciens voisins, et causait tant d'effroi, que les paysans de Blow déterrèrent
son corps, et le fichèrent en terre avec un pieu qu'ils lui passèrent
à travers le coeur.
Ce spectre, qui parlait quoiqu'il fût mort, et qui du moins n'aurait
plus dû le faire dans une situation pareille, se moquait néanmoins
de ceux qui lui faisaient souffrir ce traitement. "Vous avez bonne
grâce, leur disait-il en ouvrant sa grande bouche de vampire, de me
donner ainsi un bâton pour me défendre contre les chiens!"
On ne fit pas attention à ce qu'il put dire, et on le laissa. La nuit
suivante il brisa son pieu, se releva, épouvanta plusieurs personnes,
et en suffoqua plus qu'il n'avait fait jusqu'alors. On le livra au bourreau,
qui le mit sur une charrette pour le transporter hors de la ville et l'y
brûler. Le cadavre remuait les pieds et les mains, roulait des yeux
ardents, et hurlait comme un furieux.
Lorsqu'on le perça avec des pieux, il jeta de grands cris, et rendit
du sang très vermeil; mais quand on l'eut bien brûlé,
il ne se montra plus. On en usait même dans la XVIIe siècle,
et sans doute avant, contre les revenants de ce genre; et dans plusieurs
endroits, quand on les tirait de terre, on les trouvait pareillement frais
et vermeils, les membres souples et maniables, sans vers et sans pourriture,
mais non sans une très grande puanteur.
L'auteur que nous avons cité plus haut assure que de son temps on
voyait souvent des vampires dans les montagnes de Silésie et de Moravie.
Ils apparaissaient en plein jour comme au milieu de la nuit; et l'on apercevait
les choses qui leur avaient appartenu se remuer et changer de place sans
que personne parût les toucher. Le seul remède contre ses apparitions
était de leur couper la tête et de brûler le corps du
vampire.
Le vampire de Kisilova
Le marquis d'Argens raconte, dans sa cent-trente-septième lettre
juive, une histoire de vampire qui eut lieu au village de Kisilova, à
trois lieues de Gradisch. ce qui doit le plus étonner dans ce récit,
c'est l'espèce de crédulité de ce fameux d'Argens pour
un fait qu'il n'avait pas vu, et qui ne présente aucun caractère
satisfaisant d'authenticité.
On vient d'avoir en Hongrie, dit-il, une scène de vampirisme qui
est dûment atestée par deux officiers du tribunal de Belgrade
qui ont fait une descente sur les lieux, et par un officier des troupes
de l'empereur, à Gradisch, qui a été témoin
oculaire des procédures. Au commencement de septembre mourut, dans
le village de Kisilova, un vieillard âgé de soixante-deux ans.
Trois jours après qu'il fut enterré, il apparut à son
fils pendant la nuit, et lui demanda à manger; celui-ci lui en ayant
apporté, le spectre mangea, après quoi il disparut. Le lendemain
le fils raconta à ses voisins ce qui lui étaiet arrivé;
et le fantôme ne se montra pas ce jour-là; mais la troisième
nuit il revint demander encore à souper. On ne sait pas si son fils
lui en donna ou non; mais on le trouva le lendemain mort dans son lit. Le
même jour cinq ou six personnes tombèrent subitement malades
dans le village, et moururent l'une après l'autre en fort peu de
temps. Le bailli du lieu, informé de ce qui se passait, en fit présenter
une relation au tribunal de Belgrade qui envoya à ce village deux
de ses officiers avec un bourreau, pour examiner l'affaire. Un officier
impérial s'y rendit de Gradisch, pour être témoin d'un
fait dont il avait si souvent ouï parler.
On ouvrit les tombeaux de tous ceux qui étaient morts depuis six
semaines; quand on en vint à celui du vieillard, on le trouva les
yeux ouverts, d'une couleur vermeille, ayant une respiration naturelle,
cependant immobile et mort; d'où l'on conclut que c'était
un insigne vampire. Le bourreau lui enfonça un pieu dans le coeur;
on fit un bûcher et l'on réduisit en cendres le cadavre. On
ne trouva aucune marque de vampirisme, ni dans le corps du fils, ni dans
celui des autres morts.
"Grâces à Dieu! ajoute le marquis d'Argens, nous ne sommes
rien moins que crédules; nous avouons que toutes les lumières
de physique que nous pouvons approher de ce fait ne découvent rien
de ses cause ; cependant nous ne pouvons refuser de croire véritable
un fait attesté juridiquement et par des gens de probité..."
Le Comte de Cabreras
Vers 1725, un soldat, qui était en garnison chez un paysan des frontières
de la Hongrie, vit entrer, au moment du souper, un inconnu, qui se mit à
table auprès du maître de la maison : celui-ci en fut entrêmement
effrayé, de même que le reste de la compagnie. Le soldat ne
savait qu'en juger, et craignait d'être indiscret en faisant des questions,
parce qu'il ignorait de quoi il s'agissait.
Mais le maître du logie étant mort le lendemain, il chercha
enfin à connaître le sujet qui avait produit cet accident,
et mis toute la maison dans le trouble. On lui dit que l'inconnu, qu'il
avait vu entrer et se mettre à table, au grand effroi de toute la
famille, était le père du maître de la maison, qu'il
étit mort et enterré depuis plus de dix ans, et qu'en venant
ainsi s'asseoir auprès de son fils, il lui avait apporté la
mort.
Le soldat raconta toutes ces choses à son régiment. On en
avertit bientôt les officiers généraux, qui donnèrent
commissions au comte de Cabreras, capitaine d'infanterie, de faire information
de ce fait.
Le comte de Cabreras s'étant transporté sur les lieux avec
d'autres officiers, un chirurgien et un auditeur, ils entendirent les dépositions
de tous les gens de la maison, qui attestèrent que le revenant était
père de l'hôte du logis, et que tout ce que le soldat avait
rapporté était exactement vrai : ce qui fut aussi affirmé
par la plupart des habitants du village.
En conséquence on fit tirer de terre le corps de ce spectre : son
sang était fluide et ses chairs aussi fraîches que celles d'un
homme qui vient d'expirer. On lui coupa la tête; après quoi
on le remit dans son tombeau.
On exhuma ensuite, après d'amples informations, un homme mort depuis
plus de trente ans, qui était revenu trois fois dans sa maison à
l'heure du rpas, et qui avait suçé au cou, la première
fois son propre frère, la seconde un de ses fils, la troisième
un valet de la maison; tous trois en étaient morts, presque sur-le-champ.
Quand ce vieux vampire fut déterré, on le trouva comme le
premier, ayant le sand fluide et le corps frais. On lui planta un grand
clou dans la tête, et ensuite on le remit dans son tombeau.
Le comte de Cabreras fit brûler un troisième vampire, qui était
enterré depuis plus de seize ans, et qui avait suçé
le sang et causé la mort à deux de ses fils. - Alors enfin
le pays fut tranquille (Dom Calmet déclare qu'il tient ces faits
d'un particulier qui lui a déclaré qu'il les tenait de M.
le comte de Cabreras).
On a vu, dans tout ce qui précède, que généralement
quand on exhume les vampires, leur corps paraissent vermeils, souples, bien
conservés. Cependant, malgré tous ces indices de vampirisme,
on ne procédait pas conte eux sans formes judicaires. On citait et
on entendait les témoins; on examinait les raisons des plaignants;
on considérait avec attention les cadavres : si tout annonçait
un vampire, on le livrait au bourreau, qui le brûlait. Il arrivait
quelquefois que ces spectres paraissaient encore pendant trois ou quatre
jours après leur exécution : cependant leur corps avait été
réduit en cendres.
Don Augustin Calmet
Assez souvent on différait d'enterrer pendant six ou sept semaines
les corps de certaines personnes suspectes. Lorsqu'ils demeuraient souples,
leur sang fluide, alors on les brûlait.
On assurait que les habits de ces défunts se remuaient et changeaient
de place sans qu'aucune personne ne les touchât. L'auteur de Magia
posthuma, dont nous vons déjà parlé, raconte que
l'on voyait à Olmütz, à la fin du XVIIe, un
de ces vampires qui, sans être enterré, jetait des pierres
aux voisins, et molestait extrêmement les habitants.
Don Calmet rapporte, comme une circonstance particulière, que, dans
les villages où l'on est infesté de vampirisme, on va au cimetière,
on visite les fosses; on en trouve qui ont deux, ou trois, ou plusieurs
trous de la grosseur du doigt : alors on fouille dans ces fosses; et l'on
ne manque pas d'y trouver un corps souple et vermeil. Si on coupe la tête
de ce cadavre, il sort de ses veines et de ses artères un sang fluide,
frais et abondant.
Le savant bénédictin demande ensuite si ces trous, qu'on remarquait
dans la terre qui couvrait les vampires, pouvaient contribuer à leur
conserver une espèce de vie, de respiration, de végétation,
et rendre plus croyable leur retour parmi les vivants : il pense avec raison
que ce sentiment (fondé d'ailleurs sur des faits qui n'ont rien de
réels) n'est ni probable, ni digne d'attention.
Le même écrivain cite ailleurs, sur les vampires de Hongrie,
une lettre de M. de L'Isle de Saint-Michel, qui demeura longtemps dans les
pays infestés et qui devait en savoir quelque chose. Voici comment
M. de L'Isle s'explique là-dessus : "Une personne se trouva
attaquée de la langueur, perd l'appétit, maigrit à
vue d'oeil, et, au bout de huit ou dix jours, quelques fois quinze, meurt
sans fièvre ni aucun autre symptôme de maladie, que la maigreur
et le dessèchement. On dit, en Hongrie, que c'est un vampire qui
s'attache à cette personne, et lui suce le sang".
"De ceux qui sont attaqués de cette mélancolie noire,
la plupart ayant l'esprit troublé croient voir un spectre blanc qui
les suit partout, comme l'ombre fait le corps."
"Lorsque nous étions en quartier d'hiver chez les Valaques,
deux cavaliers de la compagnie dont j'étais cornette moururent de
cette maladie; et plusieurs autres qui en étaient attaqués
en seraient probablement morts de même, si un caporal de notre compagnie
n'avait guéri les imaginations, en exécutant le remède
que les gens du pays emploient pour cela. Quoique assez singulier, je ne
l'ai jamais lu dans aucun rituel. Le voici :"
"On choisit un jeune garçon qui soit d'âge à n'avoir
jamais fait oeuvre de son corps, c'est-à-dire qu'on puisse croire
vierge; on le fait monter à poil sur un cheval entier, absolument
noir, et qui soit également vierge; on conduit le jeune homme et
le cheval au cimetière : ils se promènent sur toutes les fosses.
Celle ou l'animal refuse de passer, malgré les coups de cravache
qu'on lui délivre, est regardée comme renfermant un vampire.
On ouvre cette fosse, et on y trouve un cadavre aussi beau et aussi frais
que si c'était un homme tranquillement endormi. On coupe, d'un coup
de bêche, le cou de ce cadavre : il en sort abondamment un sang des
plus beaux et des plus vermeils, du moins on croit le voir ainsi. Cela fait,
on remet le vampire dans sa fosse, on la comble, et on peut compter que
dès lors la maladie cesse, et que tous ceux qui en étaient
attaqués recouvrent leurs forces peu à peu, comme des gens
qui échappent d'une longue maladie d'épuisement."
"Pensées philosophiques et chrétiennes sur les
vampires"
On a publié, en 1733, un petit ouvrage intitulé : Pensées
philosophiques et chrétiennes sur les vampires, par Jean-Christophe
Herenberg. L'auteur parle, en passant, d'un spectre qui lui apparut à
lui-même en plein midi : il soutient en même temps que les vampires
ne font pas mourir les vivants, et que tout ce que l'on débite ne
doit être attribué qu'au trouble de l'imagination des malades.
Il prouve, par diverses expériences, que l'imagination est capable
de causer de très grands dérangements dans le corps et dans
les humeurs.
Il rappelle qu'en Esclavonie on empalait les meurtriers, et qu'on y perçait
le coeur du coupable par un pieu qu'on lui enfonçait dans la poitrine.
Si l'on a employé le même châtiment contre les vampires,
c'est parce qu'on les supposait auteurs de la mort de ceux dont on dit qu'il
sucent le sang. Christophe Herenberg donne quelques exemples de ce supplice
exercé contre les vampires, l'un dès l'an 1337, un autre en
l'année 1347, etc.; il parle de l'opinion de ceux qui croient que
les morts mangent dans leurs tombeaux, sentiment dont il tâche de
prouver l'antiquité par Tertullien, au commencement de son livre
de la Résurrection, et par saint Augustin, livre III de La
Cité de Dieu.
Quant à ces cadavres qu'on a trouvés, dit-on, pleins d'un
sang fluide, et dont la barbe, les cheveux et les ongles se sont renouvelés,
avec beaucoup de bienveillance, on peut d'abord rabattre les trois quarts
de ces prodiges; et encore faut-il être bien complaisant pour en admettre
une petite partie. Tous ceux qui raisonnent connaissent assez combien le
crédule vulgaire et même certains histoirens sont portés
à grossir les choses qui paraissent tant soit peu extraordinaires.
Cependant il n'est pas impossible d'en expliquer physiquement la cause.
On sait qu'il y a certains terrains qui sont propres à conserver
les corps dans toute leur fraîcheur; les raisons en ont été
si souvent expliquées qu'il n'est pas nécessaire de s'y arrêter
ici. On montre encore à Toulouse, dans une église de moines,
un caveau où les corps restent si parfaitement dans leur entier qu'il
s'en trouvait, en 1789, qui étaient là depuis près
de deux siècles, et qui paraissaient vivants. On les avait rangés
debout conte la muraille, et ils portaient les vêtements avec lesquels
ont les avait enterrés.
Ce qu'il y a de plus singulier, c'est que les corps qu'on met de l'autre
côté de ce même caveau deviennent, deux ou trois jours
après, la proie des vers.
Quant à l'accroissement des ongles, des cheveux et la barbe, on l'aperçoit
très souivent dans plusieurs cadavres. Tandis qu'il reste encore
beaucoup d'humidité dans les corps, il n'y a rien de surprenant que
pendant un certain temps on voie quelque agmentation dans les parties qui
n'exigent pas l'influence des esprits vitaux.
Pour le cri que les vampirs font entendre lorsqu'on leur enfonce le pieu
dans le coeur, rien n'est plus naturel. L'air qui se trouve renfermé
dans le cadavre, et qu'on en fait sortir avec violence, produit nécessairement
ce bruit en passant par la gorge : souvent même les corps morts produisent
ce son sans qu'on les touche.
Alexander Anderson
Voici encore une anecdote qui peut expliquer quelques-uns des traits de
vampirisme : le lecteur en tirera les conséquences qui en dérivent
naturellement.Cette anecdote a été rapportée dans plusieurs
journaux anglais, et particulièrement dans le Sun du 22 mai
1802.
Au commencement d'avril de la même année, le nommé Alexander
Anderson, se rendant d'Eglin à Glasgow, éprouva un certain
malaise, qui l'obligea d'entrer dans une ferme qui se trouvait sur sa route,
pour y prendre un peu de repos. Soit qu'il fût ivre, ou qu'il craignît
de se rendre importun, il alla se coucher sous une remise, où il
se couvrit de paille, de manière à ne pas être aperçu.
Malheureusement, après qu'il fut endormi, les gens de la ferme eurent
occasion d'ajouter une assez grande quantité de paille à celle
où cet homme se trouvait enseveli. Ce ne fut qu'au bout de cinq semaines
qu'on le découvrit dans cette singulière situation. Son corps
n'était plus qu'un squelette hideux et décharné; son
esprit était si fort aliéné, qu'il ne donnait plus
aucun signe signe d'entendement ; il ne pouvait plus faire usage de ses
jambes. La paille qui avait environné son corps était réduite
en poussière, et celle qui avait avoisiné sa tête paraissait
avoir été machée.
Lorsqu'on le retira de cette espèce de tombeau, il avait le pouls
presque éteint, quoique ses battements fussent très rapides,
la peau moite et froide, les yeux immobiles, très ouverts, et le
regard étonné.
Après qu'on lui eut fait avaler un peu de vin, il recouvra assez
suffisamment l'usage de ses facultés physiques et intellectuelles
pour dire, à une des personnes qui l'interrogeaient, que la dernière
circonstance qu'il se rappelait était celle où il avait senti
qu'on lui jetait de la paille sur le corps; mais il paraît que, depuis
cette époque, il n'avait eu aucune connaissance de la situation.
On supposa qu'il était constamment resté dans un état
de délire, occasionné par l'interception de l'air et par l'odeur
de la paille, pendant les cinq semaines qu'il avait ainsi passées,
sinon sans respirer, du moins en respirant difficilement, et sans prendre
de nourriture que le peu de substance qu'il put extraire de la paille qui
l'environnait, et qu'il eut l'instinct de mâcher. Cet homme vit peut-être
encore. Si sa résurrection eût lieu chez des peuples infectés
d'idées de vampirisme, en considérant ses grands yeux, son
air égaré, et toutes les circonstances de sa position, on
l'eût brûlé avant de lui donne le temps de se reconnaître;
et ce serait un vampire de plus.
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